Quand le confinement a commencé il y a plusieurs semaines, beaucoup d’entre nous se sont demandé comment occuper ce temps libre plus largement disponible qu’à l’accoutumée. Certains se sont réfugiés dans l’activité physique, d’autres se sont plongés dans le visionnement de films et de séries sur des plateformes numériques rendues désormais universellement indispensables, quelques-uns ont redécouvert notre belle nature environnante et plusieurs d’entre nous se sont enfin tournés vers le sentiment d’évasion que procure la littérature.
C’est cette dernière voie que j’ai majoritairement choisie et non des moindres : cette nouvelle richesse de temps libre s’est révélée à moi comme une opportunité immanquable de pouvoir me plonger corps et âme dans une des œuvres littéraires les plus monumentales qui existent : À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust.
Notre gouvernement a mis nos vies sur pause comme il l’a fait de tout un pays, et voilà que je ralentirai la mienne à la lecture passionnante de l’évocation des souvenirs du protagoniste si cher à l’auteur. Qu’ils nous reviennent par l’action de notre mémoire consciente ou par l’entremise inconsciente de nos sens (quand tout un pan de la jeunesse de ce fameux protagoniste resurgit à la surface de sa mémoire de par le simple fait de déguster une madeleine imbibée de thé, ou toute la réminiscence gustative d’une vie oubliée), nos souvenirs sont des entités bien fragiles certes, mais dont la nostalgie heureuse qui les enrobe, une fois remémorés, est un puissant élixir de bonheur, comme l’écrit si bien Proust. C’est une croyance à laquelle j’adhère pleinement.
De ma lecture a ainsi surgi l’envie suivante : pourquoi ne pourrais-je pas faire de même avec mes parents, être leur humble confident, leur faire raconter, à ma sœur et moi, leurs vécus, depuis leur plus tendre enfance jusqu’à nos naissances respectives. L’idée fut lancée, réfléchie puis acceptée. Et voilà que depuis plus d’un mois, nous nous réunissons chaque semaine afin d’évoquer et prendre en note une partie de leur biographie pour notre plus grande félicité, quand cette dernière ne se ponctue pas de surprises. En effet, nous pensions déjà connaître suffisamment nos parents. Mais vous n’avez pas idée à quel point cette présomption de notre part était fausse et qu’un souvenir tiré de sa torpeur mémorielle puisse s’accompagner, lors du récit par mon père et ma mère, d’un cortège d’autres souvenirs s’inscrivant enfin sur le papier pour construire l’histoire encore plus exhaustive de leurs passés.
Ce déconfinement des souvenirs parentaux est une activité désormais essentielle pour moi, notamment quand on sait à quel point la mémoire est fragile (au-delà du fait qu’il faut savoir ensuite la retranscrire par la voix ou par l’écriture, deux choses que ma grand-mère maternelle ne peut plus faire aujourd’hui, enfermant ainsi tristement ses souvenirs dans un carcan de silence). Mieux connaître d’où l’on vient permet, je le crois, d’avancer dans l’incertitude de la vie avec un peu plus de confiance et de perspective, mais également de toujours nourrir l’espoir qui nous habite d’un monde meilleur et des combats que l’on peut mener à son échelle pour y arriver.
Cette pandémie engendrera encore beaucoup de souffrance, de tristesse et de désarroi dans notre monde, mais elle saura, j’imagine, aussi souffler un vent de nouveauté, de changement et d’initiative pour beaucoup de personnes. Moi, elle m’aura finalement ouvert à la recherche d’un temps familial, non pas perdu, mais retrouvé, devenant ainsi, pour moi, une bien jolie boussole.
Laurent Rousseau
Wow! Quel vibrant témoignage ! Dommage que je sois orpheline… mais votre texte en inspirera certes d’autres, enfin, je l’espère !