Il s’était endormi, angoissé. Trop longtemps confiné, il rêvait. Était-il dans la vie après la vie ou dans la vie avant la mort ? Dans un état de confusion mentale. Comme Alice, l’héroïne de Lewis Carroll, passée de l’autre côté du miroir, il découvrait un monde inversé, où il fallait courir pour rester sur place, précipité dans une fantastique allégorie du confinement. Poursuivant son cauchemar où l’ordinaire s’était fait extraordinaire et où sa vie venait de basculer à cause d’un vilain virus, ses repères qu’il croyait éternels s’effondraient. Ses certitudes s’ébranlaient.
Il était prêt à abandonner ses libertés les plus fondamentales, à troquer son indépendance pour la sécurité. Il se soumettait à un État devenu subitement omnipotent et omniscient. Très occupé à ne rien faire, il lui fallait quand même organiser ses journées le plus normalement possible pour tromper l’ennui. Les conseils fusaient de toute part : lis, cuisine, mange, danse, chante, invente, pratique des loisirs créatifs, joue aux jeux vidéo, regarde la télévision… Il devait aussi se laver les mains régulièrement ainsi que tous les objets provenant de l’extérieur, tout ça sans être jugé par quiconque.
À la télévision, il découvrait un tout nouveau vocabulaire, si rare en temps ordinaire : gestes barrières, masques, distanciation sociale, quarantaine, gel hydroalcoolique, tests de dépistage etc. Il pouvait maintenant devenir son propre soignant.
Ses amis se parlaient à distance, par réseaux interposés, ils prenaient des apéritifs virtuels. Et l’amour, le faisaient-ils aussi virtuellement ? La mort serait-elle virtuelle, elle aussi ? Son rêve devenait de plus en plus troublant. Était-il dans un film de science-fiction ou bien la réalité était-elle devenue fiction ? Il marchait dans les ténèbres et s’approchait de l’angoisse du néant.
La petite roue du hamster venait de se briser. Son rêve stoppa subitement : le réveil a sonné. Une nouvelle vague d’angoisse le saisit. Bientôt, il va falloir affronter le risque de sortir. Le déconfinement approchait, alors qu’il avait pris goût à la solitude. Il faudra rentrer dans le moule social, échanger des banalités, des platitudes, des réflexions vides de sens, parler de tout, de rien, de la pluie, du beau temps. En soupirant, il se rendormit. Et replongea dans son cauchemar.
Godansan