Le fond d’écran

C’est parfois une plage vierge à l’eau turquoise, ou encore des chaînes de montagnes aux sommets glacés, des vallées rocheuses et désertes ou des cascades majestueuses. Toutes ces images de lieux purs, d’une beauté à couper le souffle, où on aime s’imaginer inspirer profondément et savourer tous les délices sensuels que nous offre la Nature. Dans cette fantaisie courante, on est seul au monde, sans la moindre intervention humaine pour venir ébranler l’harmonie intrinsèque d’un cliché paradisiaque. Et par la suspension de l’incrédulité, on se prête au jeu pour plonger dans un monde imaginaire qui est soigneusement composé pour faire abstraction de la réalité autour du cadre.

Ces images m’ont toujours dérangé par leurs contradictions inhérentes, dévoilant à la fois un désir de se rapprocher de la magie de la nature et une avarice à vouloir y gruger ses richesses sans contempler le tableau d’ensemble. Qu’est-ce qu’une photographie si ce n’est pas une tentative de s’approprier, de consommer ou de resignifier?

Mais l’image ne peut-elle pas aussi être un chemin pour se réapproprier un langage sans mots, un instinct oublié de connexion avec l’univers? Est-ce que le fait de représenter la beauté naturelle ne pourrait pas nous permettre de valoriser ce que nous avons de plus cher, de le rendre visible pour ensuite mieux le soigner?

Il y a quelques mois maintenant, dans l’obscurité du confinement, je me suis imposée un petit projet qui me semblait à la fois banal et nécessaire. À chaque jour, je devais prendre une photo d’un sujet qui me touchait par sa beauté. C’était un geste anodin pour ne pas me laisser submerger par le désespoir, pour détourner mon regard, ne serait-ce qu’un instant, vers ces petits émerveillements de la vie.

Rapidement, j’ai noté une trame récurrente dans ma petite collection. Un chien qui coure sur un lac surgelé. Les traces d’un orignal dans la neige. La silhouette des arbres au coucher du soleil. Les fleurs qui émergent à la fonte du sol. Le battement d’aile d’une oie… Ces images exposaient toutes – à quelques exceptions près – des détails à la fois ordinaires et extraordinaires de la nature. Alors que les ponts entre les êtres humains s’écroulaient, une vitrine s’est ouverte sur les connexions innombrables qui me rattachaient au monde autour de moi.

À partir des petits fragments de ma réalité, j’ai terminé par créer mes propres clichés paradisiaques dignes de fonds d’écran. Et par le fait même, ma petite collection d’images m’a permis de voir enfin que la beauté dépasse les limites du cadre.

Meaghan Johnstone

Texte lu lors de la soirée du comité “Écriture et lectures” de Demain Verdun “Raconter votre Uni-Vert’ du 25 novembre 2020

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