Texte lu lors de la soirée ‘Entre voisins’ du 26 août 2021
La journée de déménagement était terminée. Nous avions eu de la chance, ils avaient prévu des trombes d’eau et finalement, c’est le soleil qui fût de la partie avec des températures dignes d’un beau mois d’Août.
Après une pause bien méritée, nous nous décidions à laisser trainer nos cartons afin d’aller nous présenter aux voisins. Après tout, le bâtiment était suffisamment petit pour avoir enfin cette proximité, cette ambiance familiale.
Le plus drôle dans tout cela c’est que, pile au moment où nous ouvrions la porte, nous nous retrouvâmes nez à nez avec un monsieur aux yeux brillants, vifs, rieurs et au sourire franc, chaleureux, évident.
Et finalement, alors que nous pensions être assez courageux pour nous présenter à l’ensemble de l’étage, mon conjoint et moi-même ne trouvions plus rien à dire face à ce drôle de personnage.
Il engagea la discussion avec une facilité déconcertante, et introduisit un à un les membres de sa famille. C’étaient nos voisins d’en face, et lui, le papa, il s’appelait Tom. En l’écoutant parler, je voyais à l’arrière la tête de ses deux enfants et de son épouse dépasser discrètement de la porte, comme une famille de raton-laveur curieuse mais bien trop farouche pour s’aventurer hors du terrier.
Le contact étant fait, l’échange bien sympathique se terminant, nous sous saluâmes et chacun rentra chez lui.
On se rendit compte une fois sur le canapé, seul meuble comblant notre appartement encore vide, que face à cette allocution, nous avions oublié de taper à la porte des autres voisins.
Nous ignorions que Tom et sa tribu, eux, ne nous avaient pas oubliés. D’ailleurs, trois jours plus tard, il toqua à la porte et nous proposa de venir faire un pique-nique au bord du fleuve Saint-Laurent.
Il faisait ça régulièrement, avec d’autres voisins. Il s’empressa de préciser « Chacun rapporte son repas et sa boisson. Nous respecterons les deux mètres. Bref, tout sera fait dans les règles de l’art ».
Il n’avait pas à se justifier. Nous étions ravis de cette invitation. Cela faisait un an, depuis notre arrivée à Montréal, que nous avions été privés de toute rencontre. Ostie d’crise comme je l’entendais dire bien souvent.
Nous avions rendez-vous le jour suivant, en fin de journée sur les bords du fleuve. Ça tombait bien, nous n’avions pas vraiment eu le temps de visiter les alentours de l’appartement, et c’était à dix minutes à pied.
Nous les retrouvions, la famille de Tom mais aussi six autres voisins encore inconnus pour nous.
Ils étaient tous assis dans l’herbe, leur verre à la main, et le sourire aux lèvres en nous voyant arriver. Nous étions bien accueillis.
Encore une fois, la discussion fût facile, agréable, intéressante.
Ils se connaissaient depuis près de dix années. Ils étaient là depuis la création du bâtiment, et tous avaient vu les enfants des uns et des autres, naitre et grandir ensemble.
J’avais l’impression de voir une grande famille, et je me sentais à la fois intruse et privilégiée dans ce cercle intime.
Je me souviens surtout de ce cadre champêtre où nous étions posés. Ces immenses Saules pleureurs offraient une ambiance romantique, et leurs longues branches filtraient avec douceur le soleil de fin de jour.
Le fleuve se colorait progressivement d’une couleur ambrée, et le ciel prenait des allures de quartz rose.
De temps à autres, la brise nous ramenait les effluves enivrants du vin dans nos verres, et portait le rire des enfants à nos oreilles, comme une berceuse réconfortante.
Cette intégration était un vrai pansement à notre solitude ressentie durant l’année écoulée, et je sentais en moi une certaine forme de vie reprendre. Je prenais conscience à quel point la crise nous avait isolés, rendus méfiants, et je saisissais le bonheur des liens humains, le goût de la liberté retrouvée.
Nous quittions les bords de l’eau à la nuit tombée, quand la fraicheur nocturne nous obligea à rentrer chez nous.
Il était drôle de voir que nous allions tous au même endroit, et que nous allions sans doute nous recroiser le lendemain.
Depuis, nous avons pu nous revoir, dans le couloir, sur le toit pour arroser nos potagers, dans la cour à l’arrière de la maison.
Nos voisins nous ont accueillis à bras ouverts, et nous ont rendu l’envie de la communauté. C’est pour cela, que je vous écris aujourd’hui.
Car notre expérience dans Verdun s’en serait sans doute trouvée différente sans l’approche de nos voisins.
Car je ferai pareil avec mes prochains voisins, et vous devriez faire pareil avec les vôtres. Surtout après la crise vécue. Rendons à ceux qui nous entourent, un peu d’amour, d’humour et d’humanité.
Car Verdun doit rester surtout ça : Une communauté tournée vers tout être vivant, et tout être vivant tournée vers la communauté.